“Qui pourra empêcher les oiseaux de chanter ?”
Un album ouvert certes, mais rebelle à toute classification où seule la parole souveraine construit et déconstruit avec l’énergie du désespoir une réalité aux frontières imprécises.
Il est difficile, en l’espace de quelques lignes, de donner un aperçu même global d’un album aux multiples facettes tout comme d’en cerner le style. Avec un aplomb que le poète avait déjà il y a plus de vingt ans, Hocine Ouahioune brasse, ici, une sensibilité et une violence sensées. Ay Awal est une œuvre par laquelle il prend du recul et quitte le commerce des hommes pour se laisser envahir par la poésie. Un album ouvert certes, mais rebelle à toute classification où seule la parole souveraine construit et déconstruit avec l’énergie du désespoir une réalité aux frontières imprécises. Déchirures, conflits millénaires à partir desquels s’élabore l’exorcisme. En fait c’est une plongée en apnée dans nous-mêmes. Pour tamisée qu’elle soit, cette violence d’expression prend à la gorge quand il nous dit :
“Montre-nous la lumière
Celle que vous avez allumée est moribonde
Dans nos ténèbres, nous nous unissons
Et au premier rai de lumière, nous nous
entredéchirons.”
Quand la mémoire perd ses souvenirs dans une réalité peu soucieuse de poésie, la parole du poète reprend le maquis dans le cœur des hommes. Le rêve, l’espoir, le rire, la jeunesse, la raison, la paix sont ici personnifiés. Des personnages qui mettent en exergue la fuite en avant des hommes en nous assénant des arriérés de vérité impitoyables mais baumes incontournables… L’Algérie, Hocine l’aime et l’admire. Il reste à son chevet. Il appartient à cette lignée de poètes solaires enracinés dans les éléments de leur pays. Le pays est irrésistible. Les vers du poète le rendent durable. Mais le pays, haut lieu de bien des drames, est sourd à bien des colères. Ay Awal est tel un iceberg. Dans la partie visible, il parle de sa terre et du pays et dans la partie cachée, de ceux qui les piétinent. Une œuvre qui met à jour et au jour les énergies cachées de la patrie.
“Mère nous sommes tes enfants
De nos racines nous sommes fiers
Si les chaînes sont nos amies
À nos défis elles sont habituées.”
Hocine Ouahioune ne cesse de rendre hommage à un maillon de cette chaîne qui s’acharne à comprendre notre mécanique et à faire découvrir, au-delà des clichés simplificateurs, la complexe réalité d’une société en constante décomposition. Notre microcosme se vide un peu plus chaque jour. Parce que la peur est là sous toutes ses formes. Et ce ne sont pas les plus apparentes qui sont les plus terribles...
Adegwri i nutni est une chanson qui dépeint des paysages de défaites. Le désastre est collectif et individuel. Ce qui perdure, c’est cette sensation de débâcle et de sacrifice absurde.
“Seul le conscient fait pitié Qu’il trouve une solution à nos malheurs
Les meutes le rappellent à l’ordre.”
Mais le poète sait et le dit : l’espoir est le moteur increvable de ce peuple. Il sait, comme Khalil Djibran, qu’“on peut étouffer les tambours, délier les cordes d’une guitare, mais qui pourra empêcher les oiseaux de chanter ?”
Ahmed Ammour
Source: http://www.liberte-algerie.com/culture/qui-pourra-empecher-les-oiseaux-de-chanter-226907