Le Centre Amazigh de Montréal (C.A.M) a rendu un vibrant hommage au dramaturge et poète kabyle Mohya ce samedi 10 décembre 2011 au centre Africa de Montréal. Au programme, un documentaire réalisé et commenté par Hace Mess et des chants interprétés par un groupe de musiciens kabyles de Montréal.
Le documentaire a retracé l'œuvre riche et unique en son genre du feu Mohya. Hace Mess a également abreuvé l'assistance avec beaucoup d'intensité et de fougue de lectures des meilleures pièces du défunt l'artiste.
Mohya est né en 1950 en Kabylie, la veille d'une révolution. Les sons des combats et des grands sacrifices ont habité son enfance. Les chants de l'indépendance ont forgé son adolescence et sa personnalité. Le déni identitaire a, quant à lui, tracé la trajectoire de sa vie. Il faut dire qu'il avait amplement de bagage intellectuel pour briller dans les sciences exactes, mais il a choisi un autre domaine tripant et plein d'embuches et de tracas. D'ailleurs, dans son style satirique et sarcastique parfois, il l'a souligné : " J'aurais pu me construire autrement pour être parmi les meilleurs. " Cependant, les critères que pourrait avoir le profil des meilleurs, selon lui, sont aux antipodes de ceux de la majorité de ses compatriotes. En effet, toute son œuvre dénonce l'opulence, l'arrivisme, l'hypocrisie, le clientélisme, les trahisons multiples et le populisme politique.
D'abord, du point de vue académique, Mohya a été un grand dramaturge, un excellent traducteur et adaptateur, un poète prolifique et surtout un comédien et interprète génial. Il a magistralement adapté les œuvres des grands artistes et écrivains de la planète comme Beckett, Brassens, Molière, Lu Xun le Chinois, Serva le Breton et Brecht l'Allemand. Ce dernier l'a particulièrement marqué. Il est tellement fasciné par la qualité de l'œuvre de Brecht qu'il en parlait à la moindre occasion. Il a donc intégré à la culture kabyle des œuvres universellement connues et reconnues. Il leur a donné un cachet tellement kabyle qu'on a du mal à croire que (Am win yergan rebbi) est le bébé de " En attendant Godot " de Samuel Beckett, que (Tacbaylit) est le fruit de "La jarre" de Luigi Pirandello et que Afrux-nni est inspiré par le Rossignol du Breton Gilles Serva. Et pourtant, Mohya qui disait modestement : " On pique de partout " a réussi son pari de traduire le mode de vie des autres peuples à celui de son propre peuple.
Ensuite, du point de vue politique, il a été un militant irréprochable de la cause berbère. La culture et l'identité de son peuple l'ont habité jusqu'à sa mort. Son exil en France n'a aucunement ébranlé sa détermination à produire des pièces de haute facture dans sa langue et pour sa langue. Ceci étant dit, Moya a été bigrement déçu voire affecté par l'attitude des siens. D'ailleurs, il leur a collé l'étiquette de Brobros. Ces derniers ont vendu leur âme berbère pour des miettes. Pour lui, la culture de slogans et de la parlotte est stérile pour ne pas dire destructrice de ce que Tamazight a de meilleur. Dans ses œuvres, il a talentueusement représenté cette catégorie de Kabyles de service à travers les ânes, les chameaux pour ne citer que ces deux animaux qui ont une connotation péjorative dans la culture populaire des Berbères. Désormais, les textes de Mohya ont ôté la dimension humaine à ces personnes qui ont trahi leur peuple et son combat.
Enfin, du point de vue culturel, il a été fidèle à ses racines kabyles et à toutes les nuances de sa langue et de sa culture kabyles. Il suffit de l'écouter lire l'une de ses pièces pour s'en rendre compte. Il incarnait à la fois le vieux, la vieille, la mère, le fils, la femme, l'escroc, le lâche et l'observateur. À travers ses personnages, on reconstitue le village kabyle et son mode de vie. On y découvre les vertus et l'absurde, la beauté et la laideur, la sagesse et la folie, l'amour et la haine, le travail et la paresse, la solidarité et l'égoïsme, l'honnêteté et la ruse.
En somme, il a vécu simple et honnête et il est parti en 2004 propre et riche. Riche par ses œuvres et la constance de ses positions politiques et humaines. Il a tout donné à la mémoire de son peuple. À l'instar de ceux et celles qui nous ont quittés avant lui, Mohya est inondé d'hommages. À la question d'un animateur qui lui a demandé s'il pouvait le remercier, l'artiste répond avec dérision : " Quand je serai mort, vous pourrez faire mes éloges." Moralité : occupons-nous des artistes en leur vivant !
Par : Djamila Addar.
La culture ne s'achète pas...
Source : http://www.berberes.com/