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Said Sadi durant sa prise de parole
Le village de Tassaft Ouguemoun qui a vu naître le colonel Amirouche n’arrivait pas à contenir la foule qui l’avait occupé l’espace d’une demi journée.
La commémoration du 49eme anniversaire de la disparition d’Amirouche et de Haoues avait une charge particulière.
Est-ce l’imminence de l’interpellation du gouvernement par Nourdine Ait Hamouda à l’Assemblée nationale sur la séquestration des dépouilles des deux héros de la guerre de libération nationale par Boumediene ?
Est-ce la proximité du 50eme anniversaire de la disparition des deux officiers de l’ALN dont on attend de nouveaux témoignages écrits et, selon de bonnes sources, des informations inédites?
Ce regain d’intérêt pour l’histoire récente exprime t-il une demande plus générale d’un peuple qui veut voir son patrimoine historique réhabilité et protégé des censures et des manipulations ?
Il y a certainement un peu de tout cela.
Le fait est que les compagnons du chahid de la wilaya 3 étaient tous là. Les vielles combattantes qui ont eu à croiser Amirouche étaient aussi au rendez vous. Mais chose plus inhabituelle, les jeunes du tissu associatif comme les universitaires ont tenu à communier avec leurs aînés.
Après avoir salué la foule et tenu à rassurer les Algériens sur sa détermination à continuer son combat pour le respect et la protection de la mémoire des martyrs, le fils du colonel Amirouche passera la parole au responsable des moudjahiddines de la wilaya qui fut l’un des plus jeune officiers de l’ALN.
Dans une courte allocution chargée d’émotion, il rappellera le statut exceptionnel du colonel Amirouche : « c’est lourd de parler de Amirouche ou de Haoues. Quand on a vu leur volonté et leur énergie, on comprend mieux leur combat. Amirouche a structuré sa région comme un vrai dirigeant qui a non seulement organisé son territoire mais aidé les autres wilaya. C’est grâce à des hommes comme Amirouche que l’Algérie est devenue une nation libre. Nous devons toujours savoir que ces hommes avaient un courage et une vision qui ont survécu à leur mort. Pour nous, leur disparition physique n’avait pas réduit notre engagement. Amirouche était mort mais son souvenir continuait à animer nos rangs. Il faut que les jeunes se souviennent de tout cela. »
Invité à prendre la parole, le président de l’APW de Tizi-ouzou Mohand Ikharbane délivrera dans un kabyle châtié un message de fidélité et d’espoir : « Amirouche et Haoues nous ont permis de nous retrouver ici dans la dignité et l’honneur. Nous leur devons notre statut d’hommes libres et nous sommes mis en demeure d’honorer leur combat en restant fidèles à leurs serments. La population qui a souffert et qui est encore bien souvent abandonnée attend de nous efforts et sacrifices pour soulager son quotidien. Je pense notamment à tous ces villages qui ont répondu à l’appel de la patrie et soutenu avec un dévouement exemplaire Amirouche et ses pairs. Le colonel Amirouche a fait de la wilaya 3 une région modèle. En tant que responsable de l’Assemblée de wilaya, je peux assurer en ce jour symbolique tous nos concitoyens que notre seul et unique objectif c’est d’accomplir notre mandat avec le même engagement que celui dont a fait preuve le colonel Amirouche pendant la guerre. Comme lui, qui a mobilisé et organisé le plus grand nombre, je réaffirme devant vous que nous resterons ouverts et disponibles pour accueillir toutes celles et tous ceux qui ont comme souci le bien être de la collectivité.
La seule frontière que nous mettrons à notre action est celle qui sépare l’honneur de la trahison ou l’intégrité de la corruption. »
Le colonel Bouzeghoub, membre du Conseil de la nation témoignera en tant que secrétaire de la wilaya 1 qui a vu le colonel Amirouche intervenir dans les Aurès pour remettre en ordre de bataille une région minée par les conflits internes après la disparition du chahid Benboulaid. Jeune maquisard ayant rejoint les rangs de l’ALN après la grève, M.T. Bouzeghoub apportera un double témoignage en évoquant le soutien financier envoyé par Amirouche pour la wilaya 1 afin de prendre en charge les soldes des moudjahiddines et les pensions des veuves de chahids.
Sur un autre registre, il donnera un éclairage sur le souci permanent d’Amirouche de veiller sur les jeunes cadres en les envoyant à l’étranger pour former les responsables de l’Algérie indépendante. «C’est parce que le colonel Amirouche pensait à l’avenir de
la Nation que j’ai pu faire mes études dans une académie militaire et devenir pilote. C’est aussi grâce à lui que je suis aujourd’hui vivant pour vous apporter ce témoignage.
N’oubliez pas une autre chose essentielle : Amirouche n’a pas seulement donné à sa wilaya un potentiel militaire qui a fait face à l’ennemi ; son envergure a était utile à de nombreuses autres wilayas.»
Intervenant en dernier, Said SADI, dira d’entrée :
« l’histoire est à la nation ce que la fondation est à la maison. Nous sommes aujourd’hui dans un cimetière, nous devons à nos héros respect et devoir de vérité. Sans faire de procès d’intention, il nous faut entreprendre, dans l’urgence, la préservation et la réhabilitation de ce patrimoine commun d’une valeur symbolique et politique exceptionnelle, capital sans lequel aucun peuple ne peut avancer.
Je reviens des Etats-Unis dont la nation moderne a à peine deux siècles et demi d’existence. Le moindre acte, le moindre propos, le moindre site est répertorié et valorisé. Avec des événements ordinaires et sur une période courte, les Américains ont structuré leur mémoire en tant que fondement de leur projet national.
Nous sommes assis sur 3000 ans d’histoire ; nous n’assumons rien. Pire, quand nous ne censurons pas, nous déformons.
Toutes les révolutions ont eu leurs travers. Pour ne rester que dans le cas de
la Kabylie, les pertes et les abus sont terrifiants.
Dans la pression de la guerre, le mouvement de libération algérien a lui aussi connu ses égarements. La semaine passée, la commune de Mekla a réhabilité Ouali Bennai, géant parmi les géants du mouvement national. Dans ce village qui nous accueille, Amar Ould Hammouda a été exécuté par ses frères de combat. Il en fut de même de Mbarek Ait Menguelet, autre héros dont le fils est présent parmi nous. Abane Ramdane, l’architecte de la guerre de libération fut assassiné par ses pairs. Nous ne sommes pas là pour juger ce qui c’est passé dans une guerre sans merci, mais nous devons connaître la vérité pour assumer notre passé, tout notre passé afin de prémunir les générations montantes de pareilles épreuves.
Mais ces pertes inestimables ont connu des rebonds inadmissibles après l’indépendance. Abane a subi des attaques indignes dans l’Algérie d’après guerre. Comme si sa mort physique ne suffisait pas et qu’il fallait une deuxième fois l’enterrer symboliquement.
Krim Belkacem qui a échappé à l’armada française a été tué en Allemagne parce qu’il voulait donner son avis sur la gestion d’un pays dont il fut un libérateur émérite.
Que dire alors du mal absolu : la séquestration des dépouilles mortelles d’Amirouche et Haoues pendant 20 ans pour les soustraire au souvenir et à la reconnaissance de leur peuple.
Aucune autorité, aucun pouvoir, aucune raison d’Etat ne peut justifier de tels forfaits.
Il y a de quoi être pessimiste quand on voit ce qu’a commis le pouvoir algérien contre d’authentiques héros de la nation.
Mais quand on observe, d’un autre coté, les initiatives se multiplier autour des cérémonies consacrant la grandeur et les vertus de ces hommes repères et qu’elles émanent de citoyens souvent jeunes, on est en droit de se dire que la demande de vérité est plus forte que toutes les manœuvres.
Plus le pouvoir essaye de faire oublier ou de souiller la mémoire de ces martyrs, plus les jeunes s’y intéressent et les honorent.
Plus on essaye d’attenter au charisme du colonel Amirouche, plus il habite les cœurs.
Comme tous les enfants de la guerre j’en ai un souvenir inouï. Cet homme était rentré dans la légende de son vivant. Les femmes de nos montagnes le célébraient par des poèmes avant même qu’il y ait quitté le village qui l’accueillait. J’ai dans ma mémoire d’enfant des bribes de phrases de soldats français qui l’évoquaient dans un mélange de haine et de respect.
Mais ce n’est pas sur les compétences militaires d’Amirouche que je m’attarderai aujourd’hui. Je voudrais alerter nos jeunes sur deux qualités relativement peu connues du personnage car des dirigeants se sont employés à les réduire ou les souiller.
La première c’est la dimension politique du colonel Amirouche. Le témoignage de M.Bouzeghoub vient de nous en dévoiler une partie. Amirouche n’était pas seulement un baroudeur, il était un dirigeant qui avait façonné son organisation de sorte à prendre en charge les problèmes sociaux d’une population opprimée. Son administration était d’une performance qu’on voudrait bien retrouver dans celle d’aujourd’hui : pensions livrées dans les délais, assistance sociale quasiment généralisée, système de santé conséquent pour les troupes et couvrant une part non négligeable des besoins de la population.
Mais au-delà, c’est la vision de l’après guerre du colonel Amirouche qu’il nous appartient de valoriser. Formation des cadres pour l’Algérie indépendante, lutte sans merci contre les oligarchies claniques et le régionalisme ont été des préoccupations de tous les instants chez cet homme visionnaire.
Il faudra regrouper et recouper les témoignages des officiers qui ont assisté à la dernière réunion qu’il a tenu en wilaya 3. Tout en les assurant que l’Algérie sera indépendante, Amirouche exhortait ses collaborateurs à rester vigilant.
L’essentiel des motivations de la mission qui devait le conduire à Tunis et dont il ne reviendra jamais était d’ordre politique et non logistique comme on a voulu le faire croire.
La deuxième qualité sur laquelle il faudra se pencher est la dimension humaine que ceux qui ont suivi Amirouche ont pu apprécier. Je m’en tiendrais, pour aujourd’hui, au propos du docteur Laliam qui fut le médecin d’Amirouche en wilaya 3. Agé de 80 ans, il me faisait cette confidence hier soir : j’étais jeune médecin bien établi à Tunis jusqu’au jour ou Amirouche qui y passait vient me voir. Je l’avais connu à Relizane. J’ai décidé de rentrer avec lui autant pour des raisons politiques que personnelles. Il était droit, il était juste, il était sain. On avait envie de lui faire confiance. Du jour au lendemain, j’abandonnai une situation toute faite en Tunisie pour me retrouver quelques semaines plus tard dans les massifs de l’Akfadou. Je l’ai suivi d’abord et avant tout parce que c’était lui.
Pour finir, mes chers frères, nous devons aussi être des chercheurs de vérité dans le passé si on veut sauver notre pays.
En tant qu’élus nous ferons tout pour que les institutions évoluent et s’amendent de fautes qui ne doivent plus se reproduire et que l’on ne peut pas imputer à l’ennemi. En tant que citoyens vous nous trouverez toujours à vos cotés pour reconstruire et protéger la mémoire de notre peuple. »
Source: http://www.rcd-algerie.org/index.php?id_rubrique=167&id_article=841