Reportage réalisé par : Nabila Belbachir et Mohamed Mouloudj
Une chape de brume recouvrait les alentours, en cette matinée de la Saint-Valentin. Le froid nous chatouillait. Une fraîcheur revigorante nous faisait oublier remue-ménage quotidien de la capitale continuellement étouffée par les sempiternelles files de voitures, les ronronnements des moteurs, la sécheresse des âmes souvent prises par le souci du pécule... Taqsavt, notre première halte. Le décor du barrage est féerique. Autour, les villages teints d’une éclatante verdure donnent un avant-goût d’une journée bien aérée. La Kabylie n’a rien perdu de sa beauté, de sa personnalité et de son existence… La cinquantaine de kilomètres qui séparent l’ex-Fort-National de Illilten, notre destination ne semble pas nous affecter. Ni les virages qui donnent des nausées, ni le chemin escarpé par endroits ne nous faisaient quoi que ce soit, devant les paysages extravagants qui nous entourent. Ces chemins nous rappellent, à tous, la citation kabyle qui disait : "Pour aller à Larvâa Nat Yiraten, quel que soit le chemin que tu prends, c'est un chemin qui monte". Les séquelles du Printemps noir de Kabylie demeurent vivaces dans ces lieux qui ont vu mourir ses meilleurs filles et fils. Les stèles érigées en leurs mémoires rappellent sans cesse le climat de terreur qui s’est installé durant presque deux années entre 2001 et 2003. A la sortie de Larvâa Nat Yiraten vers Michelet, Ichariden nous ouvre les bras. C’est un lieu de mémoire de toute la région, où se sont livrés des combats farouches entre l’armée coloniale menée par le général " Randon " et les résistants menés par l’héroïne Fadhma N’ Soumer en 1857.
Le décor apocalyptique de la guerre de Libération demeure presque le même. En effet, un barrage militaire fixe est dressé sur la même route. La recrudescence des attentats terroristes islamistes en Kabylie ces dernières années ont en décidé ainsi.
A Aïn El-Hammam, ex-Michelet, les montées s’amenuisent, le chauffeur fait appel à ses freins. Nous quittons les hauteurs de Michelet vers Iferhounène, commune limitrophe. En cours de route, les paysages pittoresques nous attirent de partout. "Ici on n’a rien mais on ne manque pas de beaucoup de choses", s’est laissé dire un jeune de la région.
Slalomant pendant une bonne demi-heure entre les virages qui mènent vers Illilten, voici une porte érigée à l’entrée de la commune comme signe de " limitation des territoires ". Une petite piste sur la gauche vous accueille, elle mène vers Zouvga, le village modèle de la région. Il est situé à quelque 70 kilomètres au sud-ouest de Tizi Ouzou. Il compte une population avoisinant les 1 200 âmes.
Arrivés au village, Lamara Gouadfel, nous a reçus d’un air chaleureux, avant de nous faire visiter les merveilleuses ruelles et maisonnettes kabyles mariées à une architecture modernisée. Parcourons la placette où se regroupent les hommes du village, celle-ci entourée d’un décor qui ne trompe pas l’œil et qui te laisse assoiffé de découvrir d’autre sites symboles de la richesse de cette région montagnarde. La preuve est là ! 81 martyrs se sont sacrifiés pour la liberté de ses enfants. Ces derniers, avec leur bravoure, ont su honorer la mémoire de leurs aïeux. Ils ont fait de la terre pour laquelle l’ancienne génération s’est sacrifiée un paradis pour les présentes et futures générations. Lamara est membre du comité et il est aussi vice-président d’APC. Un béret breton sur la tête, nous nous lançons, avec lui à la découverte d’autres coins de ce village hors normes. Première impression dans ces ruelles et sentiers, aucune immondice sur les chemins du village. Par ailleurs, les chemins sont faits de pavés. La pierre taillée recouvre tous les sentiers. A l’intérieur même, et aux moindres recoins, herbes séchés, ordures ménagères ou autres déchets n’ont pas le droit de cité. Sur ce point, notre " guide " nous informe qu’un agent est désigné par le village afin de ramasser tous les déchets ménagers et autres. Et gare ! À celui qui enfreindra la règle. "Une amende de 1000 DA pour celui qui jetterait des ordures même dans sa propriété", nous fera savoir notre interlocuteur. Ce village a reçu le premier prix "du village le plus propre" à l’échelle de la wilaya de Tizi Ouzou, (voir encadré). Sur ce point, Lamara nous informe que ce prix a été institué par feu Rabah Aissat, ex-président d’APW assassiné l’année passée. M. Aissat avait prévu ce concours afin d’encourager les villages de la wilaya à activer dans ce sens. "Aujourd’hui, il est parti mais son initiative restera pour l’éternité pour témoigner de sa grandeur", a ajouté notre guide.Les chemins que nous avons parcourus sont conçus de telle manière qu’ils débouchent tous sur la placette. Cette dernière est entourée par une mosquée, dont une partie a été construite en 1950 tandis que l’autre date de 1924. Ce lieu de culte nommé Ljemâ Bwegueni, tout comme Azrou n’Thor, est un autre lieu de rites et de pèlerinage, qui a une histoire particulière. Selon Lamara, alors que les villageois procédaient aux fouilles pour l’érection d’une mosquée, ils s’aperçurent que les travaux de leur chantier stagnaient tandis qu’ils avançaient sur un autre lieu. Le destin a fait que la mosquée soit bâtie dans ce lieu qui a vu l’armée française la bombarder de bombes qui n’atteignaient pas les habitants qui s’étaient réfugiés à l’intérieur. A ses côtés se trouve le cimetière où repose les dépouilles des enfants du village. Sur le bas-côté de la placette, une stèle orne le lieu. Elle représente un instrument traditionnel des sculpteurs sur bois. Un vieil homme tenait un ciseau à l’aide duquel il façonne toute sorte d’outils de cuisine traditionnelle. La technique se résume à pédaler sur une traverse en bois qui fait rouler le tronc d’arbre, dont des mains magique fabriquaient jadis des outils d’arts. Cette activité artisanale n’a pas encore disparue. A Zouvga, la sculpture sur bois se transmet de génération en génération, sauf qu’aujourd’hui, le moule traditionnel à disparu pour laisser place aux machines électriques.
Alimentation en eau potable, un projet de l’Etat…supporté par le village
A Illilten, les problèmes se rassemblent. C’est les communautés villageoises qui ont pris leur destin en mains pour subvenir à leurs besoins nécessaires en matière d’eau. Etant une région montagneuse, les sources ont été exploitées. L’acheminement de l’eau vers les villages a été assuré par les citoyens eux-mêmes. Avec le concours financier des émigrés, des millions de dinars ont été déboursés afin d’alimenter tous les villageois en eau potable. "L’eau a été conduite sur une distance de 6 kilomètres, soit de la montagne jusqu’au village", souligne Lamara. 200 maisons ont bénéficié de ce projet. En outre, les travaux ont été réalisés par un volontariat général des habitants pendant plus de trois mois. Le volontariat ou L’mecmal, synonyme de la tiwizi ancestrale demeure encore.
Par ailleurs, Lamara a tenu à remercier M. Abbas, directeur de l’Hydraulique de la wilaya de Tizi Ouzou pour "son aide précieuse au village". M. Lamara a ajouté que le village sera équipé d’un troisième château d’eau. Il a souligné qu’un agent s’occupe de cette tâche, qui consiste à réguler la distribution d’eau.
Des infrastructures nouvelles s’érigent au village
En outre, ce village, malgré son emplacement éloigné de la ville, possède une salle de soin, rattachée au secteur sanitaire de Ain El Hammam. L’histoire de cette salle renseigne sur le travail de rafistolage des pouvoirs publics. En fait, un centre sanitaire a été construit sur les hauteurs du village mais sans pour autant décidé de sa mise en service. Les malades chroniques du village ainsi que les vieillards sont dans l’obligation de se déplacer pour un simple contrôle de tension ou consultation. Si ce n’est l’engouement des villageois, les malades de Zouvga périront dans une indifférence totale des autorités.
S’ajoute à cela la crèche qui a permis aux chérubins du village une pré-scolarité déjà offerte aux enfants des villes. Financée par les citoyens du village, elle est équipée de tous les matériaux éducatifs des temps modernes. Allant des chaises, tables, tableau magnétique, téléviseur avec DVD pour la diffusion des dessins animés et enfin des jeux instructifs. La crèche est d’une propreté remarquable. Une femme de ménage payée par les villageois assure la salubrité des lieux.
"Elle reçoit pour le moment 17 enfants, âgés de trois à cinq ans", souligne Lamara.
Au sous-sol de la bâtisse abritant la crèche, l’association culturelle et celle sportive du village ont élu domicile. A quelques encablures de là, juste à proximité de la place du village, un grand immeuble abrite le siège du comité. "Il est financé par l’ambassade du Canada à hauteur d’un million de dinars tandis que le village assure le reste, notamment les émigrés", révèle Lamara.
La bâtisse non encore achevée, n’est pas seulement un endroit de réunion. Elle sert aussi d’amphithéâtre pour les cours de soutien aux classes d’examens. Dans la salle de réunion, un amas d’objets traditionnels entreposés dans la salle, rappellent sans cesse, la vie d’autrefois dans une maison kabyle et les outils qui formaient jadis, leurs ustensiles. Au sous-sol de la bâtisse, notre surprise fut grande, deux sources d’eau attirent notre attention. L’une d’elle est finement ciselée et ressemble étrangement à Azrou n’Thor.
Son eau, agréable au goût est d’une qualité supérieure. Elle jaillit d’une source intarissable. L’autre est une fontaine à l’architecture moderne. Cette fontaine fraîche en été et chaude en hiver étanchant la soif de tous les passants, s’appelle Tala Tqaâts.
Azrou n’Thor, le saint de la région
Il est célébré trois fois par an. Les trois premiers week-ends de chaque mois d’août, les citoyens d’Ait Adellah, de Takhlijt At Atsou ainsi que ceux de Zouvga organisent, chaque village séparément, la fête à plus de 1 200 mètres d’altitude. C’est un moment de villégiature et de confession pour les invités qui viennent des quatre coins de la Kabylie et même d’ailleurs.
La visite de courtoisie à Zouvga est inoubliable. Au delà de la journée distraite qu’on a vécu en compagnie des humbles citoyens de ce merveilleux village, la virée nous a permis de concevoir et comprendre, en même temps, la manière avec laquelle les hommes marient tradition et modernité, pour en sortir avec une mélange socioculturel des plus harmonieux. L’œuvre réalisée par les citoyens de Zouvga est admirable.
Elle sert d’exemple aux autres villages de la région lesquels tentent à leurs tours d’instaurer une nouvelle dynamique de prise en charge de la cité. Triste nous étions en quittant Zouvga, avec l’espoir d’y retourner un jour…. Mille mercis aux habitants de Zouvga qui nous et vous ont fait découvrir cette perle parmi d’autres en Kabylie.
Source : http://www.depechedekabylie.com/read.php?id=51986&ed=MTc0MA==