Tala N’Tazert croit en la transhumance
Une brume envahissante coiffe le Djurdjura au port toujours majestueux, serti de villages à flanc de montagne où essaimant les crêtes rugueuses, clairsemées de sources d’eau thermo-minérale et gorgées de vallons lovés au pied du massif de toutes les folies. C’est un peu cela le pays de Adrar n Jerjer des «fils de la montagne» rompus aux aléas du «grand froid» et aux pires vicissitudes de la vie dans le dénuement intégral. Un moment de pure magie dans un monde d’ingratitude. Convenons-en : le paradoxe est cruel lorsque tout vient à manquer dans une région aux immenses potentialités léguées par une nature si généreuse.
Ici, au royaume de Lalla Khedidja ou Tamgut (2308 m), il est rappelé à l’envi que ce don du ciel est un paradis oublié des hommes. Le long des «chemins qui montent», qui serpentent le Djurdjura, la beauté féerique des paysages verdoyants cultive le malaise indéfinissable que l’on croit incrusté dans la laideur d’une quotidienneté des privations et des conditions de vie à la limite de la survie.
LA VIE EN COMMUNAUTÉ Le tout-Djurdjura ne croit pas, cependant, à la fatalité des jours maudits. Il croit davantage à la transhumance pour redonner goût à l’agriculture de montagne qui reste la principale activité économique, consolider l’esprit communautaire et restructurer l’effort de développement local. A Tala N’Tazert (TNT), c’était jour de pèlerinage, ce jeudi 23 août. La «grande fête familiale» est le lieu de communion et de débat sur la vie socio-économique. C’est, outre le rassemblement de tous les membres de la famille revenus pour certains sur les terres des ancêtres (n’est-ce pas Abdelmadjid ?), un espace de réflexion invitant à se pencher sur les aspects dominants de la communauté villageoise. «Atouts et faiblesses de la montagne», développés par le docteur en économie, Dahmani, est un thème majeur qui cible les immenses potentialités laminées par l’inexistence de moyens. Il y a évidemment urgence à repenser le développement d’une région prometteuse par la rationalisation et l’optimisation de ses atouts naturels, l’adéquation avec les besoins sociaux et l’amélioration des infrastructures de base. Mme Oularbi, professeur en tamazight, met le doigt sur un élément vital du mode de vie et de l’organisation sociale qui renoue avec la pratique de la transhumance, «un rituel oublié de la Kabylie». Car, pour essentielle qu’elle soit en milieu démuni et livré à la rigueur d’une nature implacable (la neige éternelle du Djurdjura n’en fait pas moins, parfois, des «sautes» d’humeur de plus d’un mètre dans les villages), la relance des Akdhars (littéralement «les troupeaux») se meut dans la transhumance abandonnée de longue date. Ce n’est que très récemment que l’idée de la reprise a germé. Entre le 1er et le 5 mai de chaque année, la décision, formulée en assemblée par le comité villageois, structure la marche sur les hauteurs de Iboudrarène des éleveurs en quête de verts pâturages entretenus et gardés par des bergers saisonniers deux mois durant. Pour éviter les grosses chaleurs d’été, des enclos sont érigés. A 7 km de TNT, là-haut sur le col de Tizi N’koulal (1650 m) toisant, à la confluence de Mechdellah (23 km) et de Bouira (42 km) la fameuse «main du juif» à l’auriculaire légèrement décalé, le cheminement des pistes de la transhumance mène à Tamdhucht N’Laz. Soit, traduction oblige, «la source de la faim». A TNT, le recueillement se conçoit en cérémonies festives à fortes incantations culturelles. Cette année, la «poésie kabyle», exposée et débattue par Ali Toudert, est à l’honneur pour entretenir la mémoire historique d’une région riche en apport multidimensionnel. Le couscous est aussi roi pour dire toute la symbolique de la solidarité et la vie en communauté.
L’ENFER AU QUOTIDIEN
Dans les villages perdus de la Kabylie, engoncée dans les vertus cardinales de la résistance stoïque, du don de soi et du compter sur soi, tout est pratiquement à faire pour exorciser les vieux démons de l’enclavement et du dénuement. Le TNT, voué, à l’origine, à être une source de rassemblement des voyageurs et des marchands ambulants, a toujours la soif d’un grand ouvrage hydrique, passablement relayé par les deux sources locales : Tala, comme son nom l’indique, et Am’Doun Azeg Zaou aménagé aux frais de l’APC. L’un des villages-clés de la commune d’Iboudrarène (Aït Eurbah, Tassaft, Aït Ali Ouaharzoune, Ighil N’seda, Bouadnane, Ighil Bouamas, Derna, Aït Ouala), continue de dépendre du problème de gestion d’eau et de la dépendance pénalisante d’une seule source d’approvisionnement menacée à tout moment par les fréquents glissements de terrain. Et, pourtant, à près de 50 à km, le titanesque Taksebt canalise les promesses des lendemains qui chantent pour alléger, un tant soit peu, les souffrances des «chemins qui montent» aux sources élémentaires de la vie de la population estimée à 6.933 âmes (jusqu’à 15 à 20 000 si l’on compte les migrants externes et internes). Les besoins sont faramineux : une scolarité réduite à sa plus simple expression à travers le seul CEM disponible, les cinq écoles primaires (dont ceux de Derna et de Aït Ouala sont fermés «faute d’élèves») et un transport défectueux (deux bus vétustes affectés) gratuitement assuré, la santé publique suspendue aux aléas du centre de soins éventé par un éboulement depuis trois ans, le transport, public et privé, bien à la peine avec l’insuffisance ressentie des lignes affectées (5 sur les 11 inscrites). TNT s’inscrit dans l’urgence déclarée. Les lycées les plus proches sont à Beni Yenni et à Yattafen. Le premier hôpital est à 15 km. Ce qui, en l’état actuel des choses, rend inéluctable la dotation d’une ambulance adaptée et, plus tard, d’un centre des urgences. Ce combat de la vie de tous les jours pèse sur les épaules du maire d’Iboudrarène, Kaci Aïssa Lounès, désabusé et «parti en guerre» contre les dysfonctionnements et la mal vie de ses concitoyens. Le chômage des jeunes l’inquiète au plus haut point. Si l’agriculture de montagne reste de la plus haute importance, il a un regard rivé sur l’usine d’agrégat remise en service, en 2006, après avoir été abandonnée par Cosider. Mais, il ne décolère pas contre l’ambiguïté et les restrictions du parc du Djurdjura (18.500 ha) qui nécessite une délimitation claire. «Oui à la protection de l’environnement, mais qu’on nous dise où s’arrête le par», s’insurge le maire. Des propriétés privées sont incluses dans le parc. Des vergers sont de ce fait à l’abandon. Que faire ?
LE RÈGNE DES «CHOUADAS»
C’est la terreur de la région. Il compte parmi le fléau number one. Il sévit durement dans les vergers saccagés comme dans les habitations aux toitures en brique démantelées. Il s’invite en intrus dans les salons. Le singe magot est protégé par la loi, au même titre que toutes les autres espèces animales (l’aigle botté, le sanglier, l’hyène rayée, le faucon, le héron cendré et la sittelle kabyle de création récente). Il trône, dès lors, sur son royaume qu’il écrase de ses méfaits barbaresques. Belahcène est propriétaire d’une parcelle de 5 ha, intégrée dans le parc. Il assiste impuissant à la razzia des singes magots écumant ses cerisiers, ses 85 oliviers, ses pruniers, ses figuiers, ses amandiers… «Tous réduits à néant». Un investissement de 30 à 40 millions de centimes est parti en fumée. «Nous avons vécu deux sortes de terrorisme avec l’ère du singe magot», s’indigne Belahcène qui jure de reprendre les armes pour défendre ses biens et la sécurité de sa famille. «Ils vivent avec nous. Ils sont chez nous et on ne peut rien faire», tempête-t-il, légitimement, avec force gesticulations rageuses. Le vase déborde du trop-plein de magots ravageurs. Une solution s’impose. Le maire de la commune l’énonce dans le gardiennage du parc qui profiterait aux jeunes chômeurs, par ailleurs, frappés de plein fouet par le «recrutement discriminatoire» accordant la part du lion aux wilayas limitrophes (6 gardiens de TNT contre 80 à Bouira). Mais, une solution quand même pour enrayer le «terrorisme» du magot. Le Djurdjura brumeux gronde de lassitude et de colère … L. C.
Source : http://www.horizons-dz.com/rubriques/reportage.htm#1
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